MÉMOIRE DE LA WRITERS GUILD OF CANADA

Sommaire

La Writers Guild of Canada (WGC) est heureuse d’avoir l’occasion de prendre part aux consultations prébudgétaires de 2011 du Comité permanent des finances de la Chambre des communes.

Cette année, le Comité des finances a demandé à la population canadienne de lui faire part de ses priorités budgétaires. Dans le présent mémoire, la WGC axera donc son propos sur l’importance des médias cinématographiques et télévisuels pour la culture canadienne et sur les importantes possibilités de création d’emplois spécialisés que le secteur peut fournir.

Comme l’a déclaré le ministre du Patrimoine canadien James Moore dans son allocution à la conférence Prime Time de la Canadian Media Production Association, tenue le 17 février 2011 :

Parce qu'en soutenant la culture canadienne, nous soutenons l'économie du Canada. Les arts et la culture représentent plus de 630 000 emplois dans l'économie d'ici. Les industries culturelles canadiennes représentent 46 milliards de dollars dans notre économie. À titre comparatif, le secteur des arts et de la culture est plus important que les industries de l'assurance et de la foresterie combinées[1].

Les médias cinématographiques et télévisuels, peut‑être davantage que tout autre secteur des arts et de la culture, génèrent de nombreux emplois hautement spécialisés et constituent un important moteur économique. Pour cette raison, la WGC demande au gouvernement de continuer à appuyer les arts et la culture du Canada, plus particulièrement les médias cinématographiques et télévisuels, dans le budget de 2011. Plus précisément, la WGC recommande au gouvernement de tenir compte des éléments suivant dans son budget de 2011.

Priorités budgétaires de la WGC

La WGC aimerait formuler les recommandations suivantes dans le cadre du présent examen :

            1) Financement additionnel indexé au taux d’inflation pour le Fonds des médias du Canada;

            2) Financement majoré pour la CBC

            3) Modification apportée au Crédit d'impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadiennepour permettre l’admissibilité des vidéos créés sur support numérique.

Mémoire

Introduction

La WGC est une association nationale qui représente plus de 2 000 scénaristes professionnels œuvrant dans les domaines de la production cinématographique, télévisuelle et radiophonique et des médias numériques de langue anglaise.

La production cinématographique et télévisuelle est un processus de collaboration qui rassemble un grand nombre de personnes aux talents et aux compétences multiples, mais les scénaristes demeurent les premiers et les principaux créateurs. Dans la plupart des projets de production de médias numériques, le scénariste est un participant essentiel au processus de création. Les scénaristes sont des conteurs; ils créent des personnages, des environnements et des événements qui sont le reflet de notre identité nationale et l’expression éloquente de ce que signifie être canadien. Nos membres ont créé des longs métrages comme Barney’s Version et des séries dramatiques typiquement canadiennes comme Flashpoint, Rookie Blue, Combat Hospital et Heartland ainsi que des projets de médias numériques comme la série Web Ruby Skye P.I. La WGC est résolue à bâtir une industrie vivante, vitrine de l’imaginaire et du talent canadiens et gardienne de notre culture particulière.

Les industries culturelles sont un important moteur de l’économie de la création, mais les forces du marché ne sont pas capables, à elles seules, de soutenir la culture canadienne, qui est dominée par le marché américain. Comme l’a souligné le ministre Moore dans son allocution mentionnée précédemment, avant que les gouvernements n’adoptent successivement des mesures de soutien à la culture canadienne, notre société était dominée par le marché américain et ses produits culturels. Nous lisions des livres et magazines américains, écoutions de la musique américaine, regardions la télévision américaine et apprenions l’histoire et les valeurs américaines. Les Canadiens font toujours cela, mais en raison de plusieurs décennies d’aide gouvernementale, nous avons maintenant la possibilité de regarder, lire et écouter du contenu Canadien. Il est vrai que dans chaque province, la création d’un produit national coûte plus cher que l’achat d’un contenu américain existant. M. Konrad von Finckenstein, président du CRTC, l’a réaffirmé lorsqu’il a déclaré ce qui suit dans le contexte de l’aide à la production télévisuelle par le biais du Fonds canadien de télévision :

D'abord, nous sommes voisins des États-Unis, qui est le plus gros marché de production média du monde. L'ampleur de leur programmation est prodigieuse. Elle est populaire. Elle est offerte au Canada à une fraction de son coût et nos radiodiffuseurs en bénéficient financièrement. Pour survivre à cette concurrence, notre propre programmation a besoin d'aide[2].

L’industrie canadienne de la production indépendante a besoin d’une aide gouvernementale qui favorise l’égalité des chances. L’aide continue et bonifiée du gouvernement fédéral permettra donc aux Canadiens d’avoir leur propre culture et encouragera la création d’emplois hautement spécialisés dans l’économie du savoir. Le soutien fédéral aux industries audiovisuelles constitue une stratégie tournée vers l’avenir.

Investir dans la production télévisuelle et cinématographique canadienne : le bon sens économique

Les programmes culturels parrainés par le gouvernement du Canada ont de fortes retombées économiques et créent des emplois pour les Canadiens. L’industrie cinématographique et télévisuelle canadienne a généré en 2009‑2010 4,9 milliards de dollars en activité de production et créé au Canada plus de 117 000 emplois équivalents temps plein hautement spécialisés, directs et indirects[3]. Le secteur cinématographie et télévisuel a généré en 2009‑2010 6,8 milliards de dollars du PIB de l’économie canadienne. Les créateurs de contenu pour les médias numériques interactifs ont généré quant à eux 1,75 milliard de dollars en revenus en 2008 et plus de 26 000 équivalents temps plein hautement spécialisés[4].

L’industrie du cinéma, de la télévision et des médias numériques a également des retombées économiques dérivées, p. ex. les dépenses consacrées à la location de camions, le service de traiteur, les hôtels et les dépenses de ménage engagées par les employés de l’industrie du cinéma, de la télévision et des médias numériques. Il ne fait donc aucun doute que l’investissement gouvernemental dans les secteurs de la production cinématographique et télévisuelle et des médias numériques à contenu typiquement canadien favorise la santé économique et la productivité future du Canada, tout en contribuant à l’affirmation de notre identité nationale.

Le public canadien se tourne de plus en plus vers des plateformes numériques pour se divertir. Il consomme des contenus  des médias traditionnels qui sont distribués en ligne sous forme numérique et sur les plateformes mobiles, mais aussi du contenu original créé pour des plateformes numériques. Un petit nombre seulement d’intervenants sont disposés à investir du capital de risque avant que les modèles opérationnels des médias numériques ne soient aussi prévisibles que ceux des médias traditionnels. Le besoin d’aide gouvernementale pour la production de contenu original destiné à des plateformes numériques est donc encore plus important que le besoin d’aide pour la production destinée aux médias traditionnels. Sans ce soutien, la population canadienne ne pourra pas choisir de contenu numérique canadien de qualité lorsqu’elle se connectera à des plateformes numériques pour se divertir et se tenir informée.

Si nous voulons que les Canadiens puissent continuer d’avoir accès à des histoires à leur image à la télévision, au cinéma et à l’ordinateur dans l’avenir et que les entreprises culturelles d’ici soient en mesure de rivaliser avec les entreprises étrangères qui mènent des activités au Canada et de tenir tête à la concurrence à l’échelle internationale et si nous désirons générer des emplois hautement spécialisés axés sur le savoir pour la présente génération et la prochaine, nous devons obtenir un engagement ferme de la part de notre gouvernement.

Fonds des médias du Canada

La WGC était très heureuse que le gouvernement ait fait du Fonds des médias du Canada (FMC) un fonds permanent dans son budget de 2010. Le financement des activités de base conférera de la stabilité aux industries de la télévision et des médias numériques qui dépendent soit du fonds de convergence, soit du fonds expérimental, car il permet aux sociétés de planifier leurs activités de production sur plusieurs années, plutôt que sur une seule année à la fois. Le FMC encouragera les radiodiffuseurs et les producteurs à développer et à créer du contenu pour plusieurs plateformes grâce au fonds de convergence, de sorte que la population canadienne puisse regarder le contenu et interagir dans la plateforme de son choix, au moment qu’il lui convient. Le fonds expérimental a l’important mandat de financer les projets interactifs expérimentaux qui ne sont pas rattachés aux programmes télévisuels.

Toutefois, la WGC craint toujours que l’on demande au FMC de financer un nombre accru de projets et de réaliser des objectifs de plus en plus nombreux sans obtenir d’autre argent. Le ministère du Patrimoine a groupé l’ancien Fonds canadien de télévision et le Fonds des nouveaux médias du Canada, mais n’a pas affecté de nouveaux dollars. Parallèlement, le Ministère a élargi le mandat du FMC. La WGC appuie ce mandat élargi qui exige que la télévision comporte un volet médias numériques ou soit diffusée en ligne et encourage les productions numériques expérimentales. Toutefois, l’aide financière pour la programmation télévisuelle traditionnelle est donc moins importante, tandis que la plupart des Canadiens regardent toujours la télévision traditionnelle sur leur écran de télévision ou sur une plateforme numérique. Il y a une baisse de fonds disponibles, mais le besoin de financement augmente, parce que les coûts de production de séries dramatiques canadiennes de haute qualité qui sont concurrentielles sur la scène internationale augmentent chaque année[5]. Bien que les budgets des productions canadiennes soient inférieurs à ceux des productions américaines, ils ont augmenté au fil des ans, en raison de la nécessité de livrer concurrence aux séries dramatiques américaines présentées au public canadien. Le FMC doit disposer de ressources suffisantes pour être en mesure de maintenir le niveau de financement d’une programmation télévisuelle de haute qualité et de remplir son nouveau mandat.

Le FMC contribue, en moyenne, à 26 % des budgets de la programmation télévisuelle canadienne. Nous encourageons le gouvernement fédéral à prendre maintenant la décision suivante d’accroître le budget du Fonds afin de tenir compte de l’élargissement de son mandat par Patrimoine canadien et de rajuster son aide financière en fonction de l’inflation. Le gouvernement fédéral a procédé à une réaffectation des fonds lorsqu’il a groupé le Fonds des nouveaux médias du Canada avec le Fonds canadien de télévision, mais il n’a pas augmenté le financement qu’il accorde depuis la création du Fonds canadien de télévision, en 1996. Selon l’indice des prix à la consommation, si le FMC, et son prédécesseur, le Fonds canadien de télévision, avaient été rajustés en fonction de l’inflation, la contribution du gouvernement de 100 millions de dollars s’élèverait actuellement à 134 millions de dollars. La WGC recommande donc que le budget du FMC soit majoré de 34 millions de dollars.

CBC

La CBC, en sa qualité de radiodiffuseur public national du Canada, est désignée gardien culturel du pays en vertu de la Loi sur la radiodiffusion. Cette Loi oblige la CBC à offrir, dans les deux langues officielles du pays, une programmation à la radio et à la télévision dont le contenu canadien prédomine et est distinctif; est à l’image du Canada et de ses régions; contribue activement à un échange de l’expression culturelle; contribue au partage d'une conscience et d'une identité nationales et montre le caractère multiculturel et multiracial du Canada. La CBC est et a toujours été un outil important pour mettre en contact les Canadiens des diverses régions du pays et, plus particulièrement, pour fournir les services essentiels dans les collectivités de petite taille. Ce mandat inclut de plus en plus la création de contenu pour les plateformes numériques et le recours à ces nouvelles plateformes comme outils pour s’adresser aux citoyens canadiens, peu importe où ils se trouvent au Canada. Ce défi de taille ne pourra être relevé que si la CBC obtient les ressources nécessaires. L’auteur respecté Don Tapscott a déclaré dernièrement que « la CBC mérite une aide pour toutes les raisons traditionnelles. La révolution numérique entraîne toutefois un nouvel impératif. La CBC a besoin de nouvelles ressources si elle désire se réinventer elle‑même pour [faire son entrée dans] l’âge numérique. Une CBC du XXIe siècle forte est essentielle pour nous aider à jouer notre propre rôle de leadership dans le monde[6].

La CBC accueille des programmes typiques canadiens, dont Heartland, Being Erica et Republic of Doyle. Le site Web CBC.ca produit des programmes dans l’objectif de fournir aux Canadiens d’autres possibilités de regarder leurs séries préférées. Tous ces avantages sont onéreux, surtout étant donné que le gouvernement n’a pas majoré les crédits parlementaires de la CBC depuis plus de dix ans. L’horaire offre de plus en plus une programmation à petit budget, dont la captation du Halifax Comedy Festival et des coproductions internationales minoritaires, comme The Tudors, et Pillars of the Earth, car le radiodiffuseur public cherche des façons de réduire ses coûts et d’accroître ses revenus.

Comme l’a indiqué la firme Deloitte dans son rapport publié dernièrement sur l’impact économique de CBC/Radio‑Canada[7], les dépenses du gouvernement pour la CBC entraînent un large éventail de retombées sur l’économie canadienne. En 2010, les dépenses engagées par les Canadiens pour la CBC ont totalisé 1,7 milliard de dollars; toutefois, la contribution de l’organisme à la société canadienne, après le calcul des dépenses liées à l’effet de débordement, comme le déclenchement de financement par des tiers, du soutien aux nouvelles technologies et aux artistes et des retombées économiques dans les régions, s’est élevée à 3,7 milliards de dollars[8]. La CBC doit pouvoir compter sur un niveau de ressources suffisant pour exercer ses activités, de sorte qu’elle puisse respecter ses objectifs à titre de radiodiffuseur public, plutôt que de s’acharner à obtenir de l’argent des grands publicitaires comme les radiodiffuseurs privés. La CBC devrait se distinguer des radiodiffuseurs privés, tant sur le plan de son modèle opérationnel que sur celui de sa programmation. Étant donné les retombées économiques et culturelles évidentes du financement de la CBC, le Canada ne devrait pas figurer seizième parmi les 18 pays industrialisés étudiés dernièrement par la firme Nordicité[9] pour le niveau de financement accordé à son radiodiffuseur public, mais c’est le cas. Seuls la Nouvelle‑Zélande et les États‑Unis versent moins que les 34 $ par habitant fournis par le gouvernement canadien. La WGC appuie donc la recommandation du Comité permanent du patrimoine canadien[10], lequel demande que les crédits annuels de la CBC soient majorés pour atteindre l’équivalent de 40 $ par Canadien. Pour une population canadienne de 33,7 millions d’habitants, la somme des crédits s’élèverait donc à 1,348 milliards de dollars, soit une augmentation de 392 millions de dollars par rapport aux crédits de 2010.

Crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne

Le crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne (CIPC) constitue un mécanisme de financement efficace qui appuie le développement d’un bassin de personnes canadiennes talentueuses pour la production cinématographique ou télévisuelle, puisqu’il repose sur les coûts de main-d’œuvre. Afin d’être admissible au CIPC, une production doit avoir un diffuseur titulaire d’une licence ou un distributeur. Jusqu’à tout dernièrement, cette exigence était entièrement acceptable. Toutefois, au cours des deux dernières années, il y a eu une multiplication des œuvres de narration artistique en ligne. Les séries Web sont produites de la même façon qu’un film ou qu’une émission de télévision. Elles ont souvent une durée de deux à cinq minutes; parce qu’elles sont difficiles à financer, leur budget est habituellement inférieur à celui des productions cinématographiques ou télévisuelles traditionnelles. Les créateurs produisent des séries Web pour avoir accès à un public directement, sans qu’un diffuseur n’agisse comme gardien, pour joindre des créneaux de public (p. ex. film d’horreur ou histoire d’adolescents aux prises avec une sortie du placard), pour agir comme vitrine pour leurs talents ou pour mettre à l’essai un projet sur le marché. Les Canadiens créent une grande variété de séries Web et ils bénéficient d’un public mondial. Il n’y a tout simplement pas assez d’argent dans le système pour les payer. Si le gouvernement élargissait les définitions traditionnelles du CIPC pour couvrir les séries Web, il en résulterait une importante mesure d’encouragement à la production et une amélioration de la qualité des travaux.

Il est difficile d’estimer les coûts de la présente proposition, car ils dépendent du marché. Cependant, compte tenu de la croissance, il serait juste d’estimer à 250 000 $ le budget moyen de 50 productions de séries Web en 2012. À environ 15 % du budget, si on suppose qu’un montant peu élevé d’aide devrait être déduit, le coût net serait de 1,875 million de dollars.

Conclusion

En préservant et en mettant en valeur l’unicité de la culture canadienne, les programmes de soutien contribuent au développement d’une identité nationale forte et agissent comme une force unificatrice d’un bout à l’autre du pays. En ces temps de quête de sens, il est particulièrement important pour les générations de Canadiens d’ici et les nouveaux arrivants d’exprimer l’humour, la sensibilité et les valeurs toutes particulières qui nous caractérisent et de les faire connaître au monde entier. La WGC demande au gouvernement de démontrer son engagement à l’égard des médias cinématographiques et télévisuels canadiens en augmentant le budget du FMC de 34 millions de dollars, en augmentant de budget de la CBC de 392 millions de dollars et en élargissant l’admissibilité au CIPC de sorte à inclure les séries Web, à un coût prévu de 1,875 million de dollars. Chacune de ces propositions de financement générerait des retombées supérieures à son coût en emplois et en activité économique.



[1] http://www.pch.gc.ca/pc-ch/minstr/moore/disc-spch/index-fra.cfm?action=doc&DocIDCd=SJM101936

[2] Allocution de Konrad von Finckenstein au Banff World Television Festival, le 19 juin 2008.

[3] Canadian Media Production Association (CMPA), Profil 2010 : Rapport économique sur l’industrie de la production de contenu sur écran au Canada, février 2011, p. 8

[4] Ibid, p. 91

[5] Selon les statistiques internes de la WGC, le budget médian pour les séries dramatiques d’une heure a augmenté progressivement, passant de 1,2 million de dollars en 2005 à 1,7 million de dollars en 2010.

[6] Don Tapscott, « A New Reason to Support the CBC », dans le Toronto Star, 30 juillet 2011.

[7] Deloitte, L’impact économique de CBC/Radio‑Canada : rapport produit pour CBC/Radio‑Canada, 8 juin 2011.

[8] Ibid, p. 26.

[9] Nordicité, Analyse du soutien public accordé à la radiodiffusion publique et aux autres instruments culturels au Canada, avril 2011, p. 4.

[10] Comité permanent du patrimoine canadien, CBC/Radio-Canada : Définir la spécificité dans un paysage médiatique en évolution, février 2008.